Ces
derniers temps, il me semble avoir repris le contrôle de mon corps,
abandonnant ainsi mes multiples identités à leur monde. Elles se
débattent sûrement pour retrouver l'emprise sur ma personne, et
raconter cette vie qui ne leur appartient pas, avec des mots volés.
Je suis habité par des démons qui ne me quitteront probablement
jamais, car ils sont sans aucun doute, une partie inhérente de mon
Moi. Merci Sigmund, bientôt je parlerais du Ça et du Surmoi !
Un certain
Nouwanda, reflétant la révolte que m'inspire notre société, tel
que nous la façonnons, mais bien incapable d'enflammer davantage que
les phrases d'un pamphlet. Les mots et le talent me manquent pour
vous exprimer ce que, chaque jour, je ressens aux vues des choix et
des priorités de notre civilisation, qui vaut tellement plus
que les autres. Je pense malheureusement qu'aucun peuple
n'est en mesure de s'ériger en exemple, car je crains que l'Homme
soit la pire créature de notre monde.
C'est sans
doute à cet instant que Nousantra s'inspire de mes pensées... cette
femme, haïssant l'Homme pour sa brutalité, sa malveillance, sa
méchanceté, sa perversité, son égoïsme, sa cruauté ; et je
pourrais encore continuer sur bien des lignes cet immonde inventaire,
car notre lexique ne manque pas de ces synonymes, qui peignent à la
perfection le portrait de notre espèce. En plus c'est une femme !
Alors inutile de vous préciser que sur l'échelle de la soumission,
les femmes restent broyées par cette loi du plus fort, qui subsiste
toujours dans nos cerveaux reptiliens. Faites place à la Loi du
talion ! Tu ne violeras point, ou je t'enverrais séjourner chez
des sodomites performers... mais c'est qu'il pourrait bien aimer ça !
Nousantra a raison de proposer une castration au ciseau de bois !
Je réserve immanquablement la première ablation à Mademoiselle
Ocytocine. C'est cadeau.
Noanda
pourrait être le premier client de ce nouveau sport, car il incarne
à lui seul, ce qu'il y a de plus haïssable chez l'Homme ;
partageant le même corps que cet animal, je préconiserais tout de
même une thérapie de groupe avant de l'émasculer... Bien forcé
d'avouer que sa présence en mes entrailles n'est pas innocente, je
combat sans relâche mes vils instincts (c'est ici que je pourrais
parler du Ça et du Surmoi... mais non!). Cet individu est mon pire
cauchemar, celui que je refuse d'être, celui pour qui je n'aurais
aucune pitié, aucune compassion... Il est l'individualisme, la
jalousie et la cupidité de notre société. Il est la peur de
l'autre. L'hypocrisie. Il est en chacun de nous, plus ou moins
dissimulé selon la volonté que l'on met à le combattre, à le
détruire et l'éradiquer de notre corps.
Et puis il
y a les longues soirées d'hiver près de la cheminée, les balades
en forêt avec le petit Attila, les repas entre amis sous le soleil
d'été. Toutes ces occasions qui vous font penser uniquement à vous
et votre petit cercle, car les autres, finalement, on s'en fout. En
tout cas, pour être heureux, mieux vaut-il voir le monde avec les
yeux de Nouanda. Ce bon père de famille, qui, d'une parole
bienveillante, console sa femme, son fils ou son ami. Cet homme
souriant et aimant, qui accompagne les siens le long de cette route
chaotique qu'est la vie, sans jamais se plaindre. Il est peut-être
là, en moi, terré sous la colère, atténuant mes plaies les plus
profondes...
L'enfant.
Noubamba. Un souvenir d'innocence que l'on voudrait revivre. Une
bouffé d'oxygène dans ce monde pollué d'adultes. Un rire naïf.
Une parole inoffensive. Ne penser qu'à l'instant présent, ne rien
anticiper, pour être chaque fois émerveillé par ce que l'on voit.
Cela ne nous arrivera plus jamais, mais je rêve des fois, d'être un
enfant, pour ne me consacrer qu'à l'amusement et au bien-être
immédiat.
Connaissez-vous
Joshua Bell ? Et Gene Weingarten ? Le
premier est un incroyable violoniste de notre époque, et le second
est un journaliste américain du Washington Post. Quel est le lien
entre ces deux hommes ? Eh bien ils se sont lancés dans une
expérience des plus enrichissante. Par un froid matin de janvier,
dans le métro de Washington, notre virtuose a joué, incognito, 6
morceaux de Bach pendant environ 45 minutes. Personne ne savait mais
ce musicien d'exception jouait, sur un Stradivarius de 3,5 millions
de dollars, les compositions les plus difficiles du répertoire
classique. Deux jours avant sa prestation dans le métro, il faisait
salle comble dans un théâtre de Boston, à 100$ le siège. Mais ce
matin là, dans cette station de métro, durant ces 45 minutes,
presque personne ne s'est arrêté pour l'écouter... Un monsieur
s'est attardé quelques secondes avant de regarder sa montre pour
reprendre sa course d'un pas pressé ; puis une dame a jeté de
l'argent dans son étui, sans s'arrêter. Mais celui qui a porté le
plus d'attention à la représentation musicale fût un enfant de 3
ans. Sa mère l'a tiré vers elle, mais le garçon s'est quand même
arrêté pour écouter le violoniste ; elle a tiré plus fort et
l'enfant a continué à se retourner tant qu'il pouvait. Cette action
s'est répétée avec d'autres enfants, et tous les parents, sans
exception, les poussaient à aller de l'avant.
Le sujet de
l'expérience était : dans un environnement
commun, à une heure inappropriée, sommes-nous en mesure de
percevoir la beauté ? Nous arrêtons-nous pour l'apprécier
? Savons-nous reconnaître le talent dans un contexte inattendu
?
Nous, non.
Mais les enfants, oui. Dégagés de toutes ces contraintes, libérés
des priorités et impératifs, ignorant l'espace et le temps, les
enfants sont directement connectés avec le monde. Ils le vivent sur
l'instant, sans modération, avec les sens constamment en éveil,
toujours près à entendre, voir ou sentir quelque chose de nouveau,
de surprenant, d'agréable.
Mais nous,
nous avons perdu cette chance. Mille personnes sont restés
indifférentes à un des plus grands musiciens de notre époque,
jouant parmi les plus belles pièces de musique classique jamais
écrite, sur un des plus beaux instruments jamais créé, et cela
aurait pu inclure vous et moi.
Posez-vous
la question: Qu’avez-vous manqué aujourd’hui ?
Nouhanda