Mes amis,
Notre
monde est une bête féroce et carnassière. Je suis né avec les
yeux d'un Rougon-Macquart descendant dans ses entrailles pour
subsister, survivre... Pressés les uns contre les autres comme des
automates, le monstre de fer nous avalait chaque matin, pour nous
recracher à son gré sur son chemin. Dès six heure ce distributeur
de chair humaine bon marché commençait sa tournée macabre, jusqu'à
épuisement de la marchandise. Il se vidait de centaines d'hommes et
de femmes, à chaque nouvelle zone industrielle qu'il croisait, comme
pour mettre fin à sa digestion. Des odeurs de peur, d'angoisse et de
souffrance nous accompagnaient tout au long de cette transhumance, au
travers de paysages accélérés et sombres, afin de nous rappeler,
qu'aujourd'hui encore, il nous faudrait obéir. Lorsque sa bouche
s'ouvrait devant notre purgatoire, seules les portes de l'enfer
s'offraient à nous. Les hydres crachant une fumée asphyxiante, nous
attendaient patiemment, prêt à nous ôter l'air et la lumière d'un
monde extérieur dont nous ne nous souvenions déjà plus... Alors
nous montions tel des marionnettes, alimenter les cheminées de nos
usines, tout en remplissant les coffres forts de nos bourreaux. Car
loin de nous accorder une juste part du fruit de notre dur et
interminable labeur, nous devions nous contenter des miettes de ces
goliaths. Nous, le rouage, les manivelles, les poulies, l'huile, les
pistons qui faisions tourner ce monde, nous survivions, pendant que
nos marionnettistes, paisiblement assis derrière leur bureau,
baignaient dans l'opulence !
Mais
il est temps de choisir notre mort : préférons-nous agoniser
sous le poids de notre peine quotidienne, nous noyer dans notre sueur
noirâtre, ou bien opterons-nous pour un combat à mort où nous
périrons peut-être sous les coups de nos tortionnaires, mais pas
sans s'être donné une chance de vivre enfin ! Coupons les fils de
nos membres assujettis afin de retrouver notre libre arbitre. Faisons
tomber de son piédestal cette oligarchie qui nous oppresse.
Organisons une armée pour faire partager à nos puissants un peu de
cette terreur journalière qui nous étouffe. Offrons-leur notre pain
sec qu'ils s'y cassent une de leur dent en or, l'eau sale de nos
baignoires pour qu'ils y lavent leur argenterie, nos clapiers où
même leurs chiens refuseraient d'entrer...
Mais
surtout, rappelons-leur qu'ils nous doivent tout ! Les soupes
chaudes et savoureuses que nous leur mijotons, leurs vêtements que
nous tissons, ou encore leurs palais sous les pierres desquels nous
nous mutilons souvent... sans oublier leur fortune que nous payons de
nos vies de pantins.
Rassemblons
nos forces et résistons face à cette injustice qui voudrait que le
plus grand nombre se meure pour le confort de notre classe
dirigeante. Croisons le fer avec ceux qui sourient de notre lente
agonie. En attendant que cette idée germe dans vos esprits, que vous
me rejoigniez dans cette lutte, je vous écrirais quelques pamphlets
pour vous ouvrir les yeux. Notre monde doit renaître par la volonté
du peuple.
Dans
l'espoir de vous voir rejoindre cette révolte, je vous prie de
croire, mes amis, en l'expression de ma révolte légitime.
Nouwanda
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